Philippe Jozelon
13:16
À l'occasion de sa nouvelle exposition « Hantises »,
nous avons rencontré Philippe Jozelon, illustrateur, professeur
d'art et membre d'Alveoh. Nous lui avons posé quelques
questions au cours d'une visite dans la ville de Tonnerre (Yonne,
Bourgogne), où l'artiste réside et travaille depuis 2014.
Alveoh : Tu as longtemps vécu à Paris avant de
t'installer à Tonnerre, qu'est ce qui t'a séduit dans cette petite
ville de l'Yonne ?
La nécessité de quitter Paris
m'a amené à Tonnerre de manière complètement aléatoire... Je
devais rester à environ 200 km de Paris et trouver un nouveau nid suffisamment séduisant et inspirant. Le destin m'a envoyé dans
l'Yonne, qui est un département français totalement charmant et
humain. La Fosse Dionne s'est pointée, le chemin de Compostelle
passait au pied de ma porte, donc, il m'a paru évident que ce devait
être ici que je redémarre ma vie. C'est un lieu presque silencieux
et hanté, donc, parfait pour moi !
En quelle mesure ton environnement
a-t'il une influence sur ton travail ?
Ce lien entre mon environnement et
mes créations s'est imposé à Tonnerre, très naturellement :
j'ai toujours eu un rapport privilégié, sensible et spirituel avec
la Nature d'une part, et les lieux et constructions humaines que
ceux ci ont abandonnés…. Pour moi, et cela depuis mon adolescence
« sauvage », il y a une connection entre le monde
naturel, végétal et l'humain et son histoire… Vivant à Paris, ou
Lyon, j'étais déconnecté de ce lien vital, il fallait donc renouer
ces liens ! Je n'imagine plus un retour dans un espace
strictement urbain, et de la même manière, la Nature, même
déglinguée, sera pour longtemps présente dans mes recherches
créatives et personnelles. Enfin, il y a eu aussi des influences
picturales empreintes de cette nature là, qui m'ont très tôt
impressionné, et je sais pourquoi maintenant ! (Caspar
Friedrich, beaucoup de peintres du 19eme siècles, et aussi le
cinéma, avec les représentations très organiques de la Nature par
Lars Von Trier ou David Lynch).
Ton projet « Hantises »
semble avoir un lien puissant avec la ville de Tonnerre, est-ce le
cas?
Comme je l'ai raconté plus haut,
Tonnerre et son environnement ont naturellement généré un changement
dans mes créations : plus d'humains, plus de filles toutes
nues, juste un climat particulier puisé, ou capté, dans les
méandres de cette cité antique et mystérieuse. Tonnerre m'a aidé
à évacuer l'humain comme acteur central de mes créations (hors
illustrations bien sur) en dehors du champs visuel. Il ne reste que
son empreinte, et le projet Hantises raconte ça.
Aurais-tu pu créer cette série à
Paris ou dans une autre ville?
Non, même si j'avais envie depuis
longtemps de ce travail contemplatif… il me fallait un retour vers
la Nature et un espace déserté.
Pourquoi ce titre ? Est-ce toi qui
hante ces lieux, ou l'inverse ?
Hantises sonne bien, le mot est
superbe, et dit bien tout ce que je souhaite évoquer. Il y a aussi
une volonté, par ce titre, de relier mon travail au genre
Fantastique, que j'aime depuis toujours et qui est lié à mon
travail, qu'il soit personnel ou illustratif.
Dans ton travail d'illustrateur tu
t'éloignes des techniques traditionnelles pour te consacrer au
digital au sens large du terme. Quels avantages présente cette
approche ?
Que ce soit pour mes travaux
illustratifs ou plus personnels, comme Hantises, j'emploie depuis des
années les techniques numériques, plus spécialement Photoshop.
Pour moi, qui ai une formation artistique très traditionnelle
(peinture, dessin), les outils numériques représentent une
continuité et un enrichissement (puisque je rajoute la photographie)
dans ma manière de faire des images. Je ne rentre pas dans les
conflits de chapelle que mes collègues adorent, « tradi vs
digital » car j'ai toujours aimé peindre (acrylique, huile)
d'une certaine manière, et, par le numérique, j'ai le sentiment de
poursuivre, en plus subtil, ce goût pour l'acte de peindre. Avant
l'arrivée des outils numériques, je bricolais déjà sur des
montages de photocopies sur papier et transparents et repeignais
dessus. Je regrette juste d'avoir tardé à me mettre aux outils
numériques, mais bon, le pas est franchi depuis longtemps et ça me
convient parfaitement. Et, il n'est pas interdit de penser qu'un de
ces jours, je rebricolerai le papier, le pinceau et la peinture
acrylique ou autre.
Dans « Hantises », la
Photographie semble être au centre de ton œuvre. Quel est ton rapport à ce médium?
Oui, sans être photographe, j'ai
impérativement besoin de fixer le réel avec l'outil appareil photo.
La photo ne m'oblige plus à redessiner laborieusement ni à
représenter puisque l'empreinte est déjà là. Je repeins donc
ensuite en incluant des texturages, des détournements, des
modifications de contrastes couleurs etc. C'est donc une base de
travail idéale pour moi. Et le « réel » reste toujours
la base de toute création, qu'on le veuille ou non ! Il faut
donc l'observer, l'attraper.
Cette série des « Hantises »
se distingue de ton travail habituel, notamment par l'absence de
personnages. Les compositions semblent s'axer sur la lumière et
l'ambiance particulière de lieux abandonnés plutôt que sur la
narration figurative. Cela vient-t'il d'une volonté d'épurer ton
travail ?
Oui, comme je l'ai exprimé plus
haut, il y a une volonté d'épurer un max les images, et surtout
d'en extraire l'humain, pour tenter d'aller le plus loin possible
dans l'évocation. Ce qui fait que mon travail n'est plus
illustratif, puisqu'il ne met plus d'humain en scène. Et il y a
aussi la volonté d'observer une vieille et précieuse obsession
personnelle de « sortir » de l'espace humain, le mien et
celui des autres. Peut être que l'objet de mes images est « autre
chose », ailleurs…. Et que la représentation humaine,
l'anecdote, nous éloigne de cette recherche, il y a donc un
positionnement quasi spirituel dans tout ça !
Le côté abstrait de ces œuvres
représente-t'il une piste artistique que tu aimerais suivre ou
est-ce simplement dû à la spécificité de ce projet ?
Non, le projet Hantises n'est que
le début, formel, d'une ligne artistique que j'espère féconde et
riche, et surtout évolutive. Ceci dit, j'aimerais bien, de temps en
temps, remettre de l'humain quelque part, puisque j'ai beaucoup
travaillé sur le corps, celui des femmes, de manière très
provocatrice d'ailleurs... là, j'aimerai le mettre en scène d'une
autre manière… avec le risque de redevenir figuratif,
narratif, fatalement. Rien n'est fermé.
Tu exposes cette série pour la
première fois à Épinal, une ville connue pour sa tradition de
l'image. Était-ce un fait délibéré ou un concours de
circonstances ?
Il n'y a aucun lien conscient entre
la ville de « l'image d'Epinal » et cette exposition.
C'est juste l'occasion de revenir vers le public de la SFFF (Science
Fiction, Fantasy, Fantastique) dans le cadre du festival Imaginales
qui se tient depuis longtemps à Epinal.
Cette exposition représente-t'elle
l'aboutissement de ce projet ou est-ce le début d'une plus vaste
démarche ?
Comme je l'ai dit plus haut, ce
n'est qu'un début. Les représentations changent techniquement,
s'épurent, après les ruines et les espaces clos, j'étudie les
extérieurs. Je ne sais pas jusqu’où ça va aller, mais j'y vais avec
bonheur et sans limites. L'exposition présente à Epinal évoque
juste les premières moutures, les premières « saisons ».
Quels sont tes autres projets pour
2016 ?
Survivre et continuer à créer mes
images personnelles le plus loin possible ! :) mais aussi
continuer à enseigner car c'est également vital pour moi, à
divers titres. Je travaille également sur des projets d'évènements
à Tonnerre, via le cadre associatif…. et j'espère d'autres
expositions, d'autres rencontres !
Alveoh remercie chaleureusement
Philippe Jozelon pour sa participation et lui souhaite plein succès
pour la suite de ses projets!
L'exposition « Hantises »
est visible du 5 mai au 25 juin 2016 à la boutique EDF 4 quai des
Bons Enfants, 88000 Épinal (FR) et Philippe Jozelon sera présent à
Epinal pendant le festival Imaginales, les 27 et 28 mai 2016.
Adam et Valentin pour Alveoh, 17 mai
2016
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